Quelques questions sur l’ouverture avec notre Dan
– Déjà, peux-tu te présenter rapidement ?
Je m’appelle Dan De Azevedo et j’ai 29 ans. Je travaille à Roc et Résine, une salle d’escalade au sud de Paris depuis 2015, où je suis actuellement ouvreur et agent d’accueil.
– Depuis combien de temps tu ouvres des voies d’escalade ?
J’ai ouvert ma première voie en 2011.
Je grimpais à la salle d’escalade Roc et Résine, et avec mon binôme nous avons demandé à Delphine Ducout, alors gérante, s’il était possible d’ouvrir une voie pour essayer. Aussitôt un rendez-vous fût pris avec Jean-Pierre Bouvier, ancien ouvreur de la salle d’escalade Roc et Résine que plus personne ne présente. Je me suis alors rendu compte de la complexité, de la pression et du kiff de l’ouverture.
J’adore créer et créer pour d’autres, c’est encore plus plaisant. Mais ce n’est pas qu’un jeu, des centaines de personnes m’attendent au tournant. Comme beaucoup de jeunes ouvreurs, j’ai commencé à ouvrir des pas à ma taille (1m78), des mouvements dynamiques et ce qui restera ma marque de fabrique, des pas un peu « recherchés ». Heureusement avec le temps, les conseils de Jean-Pierre et l’expérience personnelle, j’ai su corriger ces erreurs et rajouter de la diversité. Et je continuerai à apprendre et à me perfectionner bien évidemment.
– Pourquoi vouloir être ouvreur ? Qu’est ce qui te plaît dans ce métier ?
C’est un métier qui me permet de jouer, de faire du sport, d’avoir un échange avec le client qu’il soit direct ou indirect. Et c’est un métier où je crée quelque chose. Quelque chose que je fais pour les autres. C’est épuisant mais je ne suis pas du genre à vouloir être assis toute la journée devant un ordi, même si je gagnais plus. Pour moi c’est impensable. Ici, j’ai la possibilité de créer, chaque jour d’une façon différente. De rencontrer des gens autour d’une passion ou d’un loisir commun.
– Tu es assez jeune. Roc et Résine est la première salle d’escalade en France. Ouverte depuis 1992 au sud de Paris. Que penses-tu de la cohabitation entre escalade Old school et escalade New school ? Comment te places-tu là dedans ?
Je trouve qu’on est à la meilleure place possible. De part l’histoire de la salle, le vécu des grimpeurs, l’expérience de l’équipe et sa richesse. Il y a de tout et il y règne une ambiance vraiment géniale. Je n’ai jamais ressenti ça aussi fortement que dans cette salle, et ce, depuis que j’ai commencé à grimper. J’ai appris à ouvrir au coté de Jean-Pierre Bouvier dans un style Old school, et depuis peu, Sylvain Taviaux me transmet ce qu’il a appris de son expérience d’ouverture et de grimpe axée plutôt New school.
Pour ce qui est de mon ouverture c’est simple, j’essaie de satisfaire tout le monde. Que tout le monde y trouve son compte. Chaque style a sa richesse et mon travail c’est de puiser dans chacun pour offrir le meilleur aux clients. Quelque soit ton style, tu trouveras des voies qui te correspondront et c’est une très grande fierté que nous avons.
– As tu une idée en tête plus ou moins précise quand tu vas ouvrir sur le cheminement de la voie ?
Je crois que c’est la question qu’on me pose le plus souvent, juste après « Tu as quel âge ? Oh, tu les fais pas ! ». Je connais des ouvreurs qui dessinent toujours un croquis de la voie avant de l’ouvrir. D’autres qui balancent les prises et réajustent après. Pour d’autres c’est d’abord les mains, et on ajoute les pieds après. On a tous un peu notre façon de faire. C’est ce qui fait la richesse de l’escalade et de tous les métiers de création.
Personnellement, c’est assez varié. Je peux avoir vu un mouvement qui me plaît dans une vidéo de championnat, avoir eu un flash la veille en me lavant les dents, avoir une idée en regardant quelqu’un grimper. Mais le plus souvent, c’est de l’improvisation. Les prises avec lesquelles je vais travailler, l’angle du mur, les volumes, les reliefs.
D’une manière générale, je m’assois au pied du mur, avec les prises devant moi, j’en touche quelques unes pour avoir les sensations, en m’imaginant grimper sur le mur, et en les tournant dans ma main pour agrandir les possibilités de préhensions et donc de pas. Une fois la trame général en tête, je commence. Bien entendu, d’autres idées arrivent en cours d’ouverture. « Tiens, et si je faisais ça. » « Oh, ce serait super si j’arrivais à faire ça ».
– Quel niveau de voie est le plus difficile à faire ? Un 6A est-il plus dure à concocter qu’un 7A par exemple ?
Comme pour la question précédente, la voie facile demandera moins de précision, tout simplement parce qu’un grimpeur débutant ne saura pas se placer. Et c’est normal, on est tous passé par là ! Néanmoins ce n’est pas pour ça que je ne prends pas le temps de rendre les voies faciles et pédagogiques. Si tu n’a pas la possibilité de progresser grâce au niveau facile tu n’arriveras jamais au niveau supérieur. Donc ton ouverture ne doit pas avoir de raté, parce que les grimpeurs débutants ne pourront pas compter sur leur expérience pour trouver une autre solution.
Le « problème » des grimpeurs plus forts, c’est justement qu’ils ont du bagage, de la technique, et ils feront tout pour casser ton ouverture. Passer là où il y a une faille. C’est le jeu. Donc grosso modo les deux se valent !
– Grimpes-tu à Roc et Résine en dehors de tes horaires de travail ? Tu grimpes tes propres voies ?
Oui j’y grimpe une fois par semaine avec mon binôme avec qui j’y grimpais déjà bien avant d’être ouvreur. Pour ce qui est de grimper mes propres voies, soyons honnête, je déteste ça. Ce que j’aime dans l’escalade, mis à part l’effort physique, c’est la recherche, l’optimisation, les surprises. Ce que je ne retrouve pas dans une voie que je connais par coeur. Et selon moi il n’y a pas d’évolution, si ce n’est physique encore une fois, à grimper une voie qui ne te surprend pas.
– Ta prise ou ta préhension préférée ? Et celle que tu détestes ?
Les bacs bien sûr ! A petit niveau parce que ça te rappelle comment c’est cool de tenir des grosses prises franches, et à plus haut niveau parce que si tu retrouves un bac c’est louche ! J’ai en horreur les prises plutôt « récentes » qui ont une partie qui adhère comme une prise normal, et une partie toute lisse. Pour moi l’escalade c’est la diversité, des approches différentes selon le grimpeur. Et là on nous pond une prise qui, si tu ne vas pas sur la seule partie qui adhère, il t’es presque impossible de tenir.
– Comme tout métier de création, tu es sujet aux critiques, aux avis de gens, parce que c’est pour eux que tu ouvres. Comment tu te places vis à vis de ça ?
C’est vrai qu’on a toutes sortes de retours. Déjà il faut savoir que d’une manière générale, ils sont bienveillants, qu’ils soient positifs ou négatifs. Les gens savent qu’un ouvreur, comme n’importe quel humain, peut faire des erreurs. Et leurs retours sont à 99% constructifs. Les 1% sont en général des personnes qui n’arrivent pas à valider la voie, et à qui je donne quelques astuces, à qui je conseille de persévérer.
J’aime discuter avec les grimpeurs de leurs expériences sur mes voies. C’est pour eux que j’ouvre, que je me casse la tête et les bras. Encore aujourd’hui je suis super excité après chaque ouverture, de savoir si les gens vont aimer, savoir comment ils vont la grimper… Et ça m’aide à progresser de les voir et de discuter avec eux. La salle est connue pour ses ouvertures de qualité. Je suis tellement content que mon travail paie. J’y consacre du temps, beaucoup d’énergie, de réflexion, d’amour aussi, et de voir via les avis internet ou en discutant avec les gens que ce que je crée plaît, c’est la plus belle des récompenses et bon sang… Qu’est ce que ça motive !
– Chaque ouvreur est différent, selon toi, qu’est-ce qui fait ta particularité ?
Sans trop d’hésitation je te dirai mes voies « casse-tête ». J’aime me creuser la tête, trouver la solution, et y arriver. J’aime qu’il y ait plusieurs possibilités, selon les points forts et les faiblesses de chacun. C’est ça pour moi l’escalade, avoir une voie à gravir, et arriver au sommet avec ce que tu es. Après bien sûr je n’ouvre pas que des voies qui demandent 10 min de lecture ! J’essaie comme n’importe quel ouvreur de varier et de ne jamais proposer la même expérience de grimpe d’une voie à l’autre. Je ne trouve aucun plaisir à grimper une voie échelle. Même si elle demande un gros effort physique.
– Quelques conseils pour un jeune ouvreur ? Quelqu’un qui débute, ou qui ouvre occasionnellement pour un club ou autre ?
Prendre plaisir en ouvrant, c’est très important, mais attention à ne pas ouvrir pour soi. C’est la première erreur de beaucoup d’ouvreurs débutants. Ouvrir pile pour sa morphologie, ouvrir pour ses points forts, parce que c’est là qu’on prend le plus de plaisir. Si tu es assez grand, la petite astuce est d’essayer de toucher la prise que tu veux attraper avec ton coude ou ta tête. Si tu la touches, c’est normalement que quelqu’un de plus petit arrivera à l’avoir. Tout le monde est différent, le travail d’un ouvreur est de satisfaire le plus de personnes possible, sur le plus de voies possible.
Deuxièmement, mettre une barrière psychologique entre toi et les retours de grimpeurs. Les bons retours parce que tu ne dois jamais te dire « ok ils aiment, j’arrête de chercher à me renouveler », et les mauvais parce qu’il y a parfois des grimpeurs qui se lâchent sur toi sous le coup de la frustration de leur échec. On l’a tous dit ou ressentit : « Ouah c’est quoi cette ouverture pourrie ? ». C’est vrai qu’il peut arriver à l’ouvreur de se foirer, mais d’une manière général c’est au grimpeur de se dire « ok, cette voie ou ce bloc me donne du fil à retordre, soit je m’entraîne, soit je vais sur quelque chose qui m’est plus accessible ».
– Y a-t-il beaucoup de préparation en amont ? As tu un cahier des charges, une ligne à suivre, ou est-ce que c’est plutôt au jour le jour ?
C’est vrai que j’ai (assez occasionnellement heureusement) des personnes qui me disent « ah c’est un métier de faire les pistes ? ». Il y a pas mal de travail lors de la création du cahier des charges effectivement. On a aussi un logiciel qui met à jour le nombre de voies de chaque niveau que l’on a dans la salle. Avec des graphismes et tout. Ce qui permet de se dire le matin quand on arrive « ah tiens il y a six 4C et seulement trois 4B, cette 4C que je voulais remonter je vais plutôt la remonter en 4B. » par exemple.
Ensuite pour ce qui est du cahier des charges et de la méthode d’ouverture, ça a un peu changé depuis l’arrivée de Sylvain Taviaux en tant que chef ouvreur. Il a dressé un cahier des charges qui définit un objectif d’ouverture dans lequel j’ai pas mal de liberté. L’avantage qu’on a c’est qu’on a une vision assez similaire de l’objectif : surprendre les grimpeurs. On veut que le gars qui vient faire sa séance d’escalade, après sa journée de boulot, soit tout excité en se demandant ce qu’on lui a préparé. Qu’est-ce qu’on a pu inventer de nouveau aujourd’hui ? On veut garder l’esprit Old school tout en amenant les prises et/ou les pas New school pour ceux qui prennent leur pied dedans. On se fait des retours très souvent et on cherche à innover et à se dépasser à chaque fois. L’idée est clair : l’immobilisme c’est la mort.
– Quelle est la différence entre ouvrir et grimper ?
Assez simplement je te répondrais que tu grimpes pour toi, et tu ouvres pour les autres. Mais les deux t’aident à progresser.
– On a parlé de ton passé, du présent, du coup tout naturellement j’aimerai te demander comment tu vois ton avenir à la salle d’escalade Roc et Résine ? Ou ailleurs ?
Comme tu as pu le comprendre, je me sens très bien dans cette salle. J’aime son ambiance et son équipe. J’ai envie de faire partie de cette aventure et d’amener la salle encore plus loin. De plus, depuis l’arrivée de Sylvain comme directeur et chef ouvreur de la salle d’escalade, il y a une nouvelle dynamique très motivante. Je suis très excité par cet avenir vers lequel on va !
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